Nouveau rebondissement dans la saga des EPIC : l’avantage économique de la garantie illimitée doit être démontré
L’État français continue de résister vigoureusement aux attaques de Bruxelles contre le fameux statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC) auquel se rattache la garantie implicite illimitée objet de nombreuses critiques sur le terrain des aides d’État.
L’arrêt du Tribunal de l’Union rendu le 26 mai 2016, opposant la France et l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFPEN) à la Commission, s’inscrit dans la continuité de l’arrêt La Poste* et d’une longue jurisprudence dont nous avions retracé la chronologie à l’occasion d’un précédent article sur le sujet (La garantie illimitée des EPIC, vers la fin d’un privilège?).
En l’espèce, le Tribunal a annulé la décision de la Commission qui qualifie d’aide d’État la garantie implicite accordée par la France à l’IFPEN au motif que la Commission n’a pas suffisamment expliqué ni démontré en quoi cette garantie a pour effet de conférer un avantage économique réel à l’entreprise bénéficiaire.
Pour mémoire, la Commission avait certes reconnu la qualité d’aide d’État à la garantie illimitée accordée à l’IFPEN en raison de son statut d’EPIC mais par cette même décision, elle avait déclaré l’aide compatible avec le marché intérieur**. Le recours de la France – car ce sont avant tout les autorités françaises qui mènent cette bataille depuis plus de dix ans – illustre à quel point le sujet dépasse le simple cas de l’IFPEN. Quand bien même la garantie illimitée serait déclarée compatible avec l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), les autorités françaises font du statut d’EPIC un totem à défendre contre la qualification d’aide d’État.
Par cet arrêt, le Tribunal oblige la Commission à prouver la réalité de l’avantage sélectif attaché au statut d’EPIC (I) et apporte une sérieuse limite à la tentation d’une interprétation extensive de la jurisprudence La Poste qui permettait la caractérisation de l’avantage par voie de présomption (II).
I – L’obligation de prouver la réalité de l’avantage sélectif dans le cas des EPIC
L’IFPEN (dénommée IFP jusqu’en 2010) est un établissement public chargé de missions de recherche et développement, de formation ainsi que d’information et de documentation dans les secteurs de la prospection pétrolière et gazière et des technologies de raffinage et de pétrochimie.
Comme de nombreux EPIC, l’IFPEN a fait l’objet d’une enquête de la Commission en raison de la garantie implicite illimitée de l’État inhérente à son statut. Selon la Commission, cette garantie illimitée constitue une aide d’État en raison notamment de l’avantage économique qu’elle confère à son bénéficiaire dans le cadre de ses relations avec ses fournisseurs et clients. Cet avantage est par ailleurs sélectif dès lors que les concurrents privés de l’IFPEN, soumis aux procédures d’insolvabilité de droit commun, ne bénéficient pas d’une protection similaire.
Le Tribunal et les parties ont admis le postulat découlant de la jurisprudence La Poste selon lequel la garantie implicite et illimitée d’État est inhérente au statut d’EPIC. Le débat portait dès lors sur l’existence d’un avantage découlant de cette garantie, l’un des quatre critères nécessaires à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107(1) du TFUE. Le Tribunal rappelle à ce titre que la Commission doit apporter la preuve de l’existence d’une aide d’État. S’agissant de l’appréciation de l’avantage sélectif, elle est tenue d’effectuer une analyse complète de tous les éléments pertinents de l’opération litigieuse et de son contexte, y compris de la situation de l’entreprise bénéficiaire et du marché concerné.
La méthode que la Commission a choisi afin de déterminer l’existence d’un avantage économique dont l’IFPEN a bénéficié du fait de son statut d’EPIC, consistait à examiner l’avantage né dans les relations entre ce dernier et ses créanciers, en l’occurrence les institutions bancaires et financières, les fournisseurs et les clients. Cette méthode présuppose l’examen de l’influence que ladite garantie exerce sur ces relations et la détermination du comportement que ces créanciers sont susceptibles d’adopter en connaissance de cette garantie.
Le Tribunal a considéré que l’adoption de cette méthode était correcte dans la mesure où les créanciers de l’IFPEN peuvent lui accorder un traitement plus favorable sachant que ces derniers peuvent se prévaloir de la garantie dans le cas d’un défaut de paiement d’une somme d’argent ou de l’inexécution d’une autre prestation. Selon le Tribunal, la Commission a exclu, à juste titre, l’existence d’un avantage économique réel pour l’IFPEN dans ses relations avec les institutions bancaires et financières. En effet, les conditions des emprunts contractés par l’IFPEN ou des offres d’emprunts faites à ce dernier, correspondaient aux conditions du marché.
En revanche, le Tribunal a estimé que la manière dont la Commission a appliqué la méthode aux relations entre l’IFPEN et ses fournisseurs et clients présente plusieurs défauts. La Commission aurait conclu à un avantage sélectif en se fondant sur un raisonnement purement hypothétique manquant à la fois de clarté et de cohérence.
Côté fournisseurs, la Commission a estimé que l’IFPEN a bénéficié d’un avantage se traduisant par une baisse des prix que ses fournisseurs lui ont accordée en connaissance du fait que son statut d’EPIC offrait une garantie illimitée de l’État contre un risque de défaut découlant de l’insolvabilité. Pourtant elle n’a invoqué aucun élément permettant de démontrer un phénomène de baisse de prix consentie, par leurs fournisseurs, aux établissements qui jouissent d’une garantie de l’État contre le risque d’insolvabilité.
Côté clients, la Commission a défini l’avantage que l’IFPEN a pu retirer de la garantie de l’État inhérente à son statut d’EPIC comme étant l’absence de paiement d’une prime correspondant à une garantie de bonne fin ou, à tout le moins, de meilleur effort qu’il a pu offrir à ses clients. Cependant, le Tribunal estime que la Commission n’a pas apporté de preuves susceptibles de démontrer que l’abandon de ces garanties contractuelles ou, du moins, le fait que les clients ne les ont pas exigées de l’IFPEN, était nécessairement imputable à l’existence de la garantie d’État rattachée au statut d’EPIC.
Après des développements substantiels, le Tribunal a conclu que la motivation présentée par la Commission en ce qui concerne l’existence de l’avantage que l’IFPEN a pu tirer de la garantie de l’État inhérente à son statut d’EPIC vis-à-vis de ses clients est obscure et incohérente. Le Tribunal ajoute qu’une telle motivation ne répond pas au standard requis par l’article 296 TFUE (clarté, non-équivocité, non-contradiction).
II – La limitation de la présomption d’avantage fixée par la jurisprudence La Poste
La Commission entendait se prévaloir de la présomption simple posée par la Cour de justice dans son arrêt du 3 avril 2014, La Poste, pour établir l’existence de l’avantage dans les relations entre l’IFPEN et ses fournisseurs et clients. Cette présomption qui permet de révéler l’existence d’un avantage prenant la forme de conditions de crédit plus favorables, aurait permis à la Commission de ne pas avoir à démontrer les effets réels produits par la garantie.
Le Tribunal a balayé l’argument de la Commission selon lequel l’existence de l’avantage pouvant être présumé, il suffirait qu’elle établisse l’existence de la garantie de l’État pour que l’existence de l’avantage soit établie.
Selon le Tribunal, la possibilité de recourir à une présomption comme mode de preuve dépend de la plausibilité des hypothèses sur lesquelles celle-ci est fondée. Dans l’arrêt La Poste, la présomption simple établie repose sur la double prémisse, dont la plausibilité est admise par la Cour, selon laquelle, d’une part, l’existence d’une garantie des autorités publiques d’un État membre a une influence favorable sur l’appréciation par les créanciers du risque de défaut du bénéficiaire de cette garantie et, d’autre part, cette influence favorable se traduit par la diminution du coût du crédit.
Dans le cas de l’IFPEN, la Commission soutient que l’influence favorable de l’existence d’une garantie des autorités publiques d’un État membre sur l’appréciation par les créanciers du risque de défaut du bénéficiaire de cette garantie se traduit par une baisse du prix consentis audit bénéficiaire par ses fournisseurs.
Le Tribunal a estimé que la plausibilité d’une telle hypothèse ne s’impose pas d’elle-même. L’absence de plausibilité s’oppose dès lors à ce qu’il puisse être considéré que la garantie en cause est susceptible d’accorder à l’IFPEN un avantage économique prenant la forme d’une baisse des prix consentis par les fournisseurs de l’IFPEN à ce dernier ou que la démonstration de l’existence de cette garantie suffirait à la Commission pour démontrer l’existence d’un tel avantage.
Par ailleurs, s’agissant de la relation entre l’IFPEN et les clients, le Tribunal considère que la Commission n’a pas défini l’avantage qui découlerait pour l’IFPEN de l’existence de la garantie (je crois qu’il manque un mot ?) et rejette simplement l’application de la présomption au motif qu’elle est dépourvue d’objet.
Le Tribunal entend par ailleurs limiter la présomption simple posée par la jurisprudence La Poste au seul avantage prenant la forme de conditions de crédit plus favorables. L’application de la présomption simple est ainsi confinée aux relations qui impliquent une opération de financement, un prêt ou plus largement, un crédit de la part du créancier d’un EPIC ce qui recouvre quasi-uniquement les relations entre l’EPIC et les institutions bancaires et financières.
Il convient de noter que la Commission a tenté, au cours de la procédure juridictionnelle, de revenir sur les conclusions de sa décision s’agissant de l’absence d’avantage économique réel pour l’IFPEN dans ses relations avec les institutions bancaires et financières. Ce point illustre un peu plus le manque de cohérence dans la position de la Commission que le Tribunal n’a pas manqué de souligner tout au long de son arrêt.
Cet arrêt qui présente une certaine complexité témoigne encore une fois de la difficulté pour les instances européennes de qualifier l’avantage résultant de la garantie illimitée inhérente au statut d’EPIC. Cette nouvelle pierre à l’édifice jurisprudentiel atteste encore une fois que le particularisme français des établissements publics n’est pas encore enterré.
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