Flash d’actualité – Un médicament, un produit défectueux comme un autre ?

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Flash d’actualité – Un médicament, un produit défectueux comme un autre ?

CJUE, 20 nov. 2014, aff. C-310/13, Novo Nordisk Pharma GmbH c/ Mme S.

Madame S. avait tenté d’obtenir, en vain, auprès du laboratoire pharmaceutique, des renseignements relatifs aux effets indésirables d’un médicament susceptible d’avoir entraîné, pour elle, une lipoatrophie, c’est-à-dire l’amincissement du tissu adipeux sous la peau dans la zone des injections.

Saisi d’un recours en révision par l’entreprise, le Bundesgerichtshof, a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 13 de la directive 85/374/CEE du 25 juin 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du 10 mai 1999.

Cette directive devait-elle être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, laquelle établit un régime spécial de responsabilité au sens de l’article 13 de la directive et prévoit, à la suite d’une modification de cette réglementation intervenue postérieurement à la date de notification de cette directive à l’État membre concerné, que le consommateur a le droit de réclamer au fabricant d’un produit pharmaceutique des renseignements sur les effets indésirables de ce produit ?

La réponse de la Cour de justice est limpide : une réglementation nationale qui prévoit le droit de la victime d’obtenir des renseignements sur les effets indésirables du produit concerné est en principe susceptible d’aider la victime à apporter les preuves nécessaires en vue d’engager la responsabilité du producteur mais n’est pas de nature à entraîner le renversement de la charge de preuve qui incombe à la victime et ne modifie pas non plus les conditions de l’exonération du producteur prévues à l’article 7 de la directive 85/374.

Cette réponse s’inscrit dans l’objectif de protection du consommateur (1), une législation nationale pouvant être plus protectrice que ce qu’impose la directive (2). Pour autant, elle ne saurait renverser la charge de la preuve, même si « en principe » elle paraît être de nature à aider la victime à trouver des éléments de preuve (3).

  1. La protection du consommateur au cœur du débat soumis à la Cour.

L’on sait qu’au travers de sa politique de protection des consommateurs, l’Union européenne « contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu’à la promotion de leur droit à l’information, à l’éducation et à s’organiser afin de préserver leurs intérêts » (article 169 TFUE).

En outre, les exigences de la protection des consommateurs sont garantis par l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et de leur assurer un niveau élevé de protection.

L’article 12 TFUE précise enfin que la protection des consommateurs est une politique transversale qui doit être « prise en considération dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques et actions de l’Union. »

Les mesures adoptées par l’Union européenne dans ce domaine complètent et appuient les politiques menées par les Etats membres. Ainsi, s’agissant de la santé et des médicaments, le Règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 établit des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et institue une Agence européenne des médicaments.

Mais en l’espèce, Madame S. s’appuyait sur l’article 13 de la directive 85/374/CEE du 25 juin 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du 10 mai 1999, et ce, en l’absence de règle spéciale à la catégorie particulière de produits que constituent les médicaments. Il semble donc que la loi nationale en cause avait pour vocation de « s’appuyer » sur les mesures européennes de protection du consommateur, mais en établissant un régime spécial de responsabilité pour les médicaments. C’est ainsi que la Cour de justice paraît l’avoir comprise.

  1. Une législation nationale plus protectrice que ce qu’impose la directive ?

Il est seulement admis par exception que les États prennent des dispositions plus protectrices que le droit de l’Union, dans les seules hypothèses où la lettre de la directive les y autorise. C’est généralement dans l’attente d’une plus grande harmonisation que les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus strictes. En l’espèce, la Cour rappelle l’avant dernier considérant de la directive (Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux) dispose : « considérant que l’harmonisation résultant de la présente directive ne peut, au stade actuel, être totale, mais ouvre la voie vers une harmonisation plus poussée(…)».

Les points 23, 24 et 25 de l’arrêt de la Cour sont cohérents et conformes à sa jurisprudence. Elle juge en effet que la directive 85/374 poursuit, « sur les points qu’elle réglemente, une harmonisation totale des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres (arrêt Dutrueux et caisse primaire d’assurance maladie du Jura, C‑495/10, EU:C:2011:869, point 20 et jurisprudence citée) ».

Pour autant la Cour relève que cette directive, d’une part, « n’a pas vocation à harmoniser de manière exhaustive le domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux au-delà des points qu’elle réglemente (arrêt Dutrueux précité) » et d’autre part, « S’agissant du droit du consommateur d’obtenir des renseignements sur les effets indésirables d’un produit, ni ce droit ni l’étendue des renseignements que le consommateur pourrait réclamer au fabricant de ce produit ne font, en tant que tels, l’objet des dispositions de la directive 85/374 ».

C’est dire que dans la directive, certaines dispositions sont d’harmonisation minimale tandis que d’autres sont d’harmonisation totale et que la question méritait donc d’être tranchée afin de limiter les risques d’interprétation divergeante et d’insécurité juridique.

Pour autant, il convenait de mettre en balance les intérêts du consommateur et ceux de l’entreprise.

  1. L’impossible renversement de la charge de la preuve.

La Cour juge que la législation nationale ne saurait renverser la charge de la preuve, même si « en principe » elle paraît être de nature à aider la victime à trouver des éléments de preuve.

En vertu d’un vieil adage que la Cour connaît bien, c’est en effet toujours à celui qui invoque un préjudice d’en rapporter la preuve. Les Etats membres, sous couvert d’être plus protecteurs du consommateur, ne sauraient renverser la charge de la preuve. Toute la protection du consommateur, rien que sa protection, mais pas plus que sa protection pourrait-on dire. Ceci était prévisible.

Mais l’ajout de « même si en principe » permet cependant à la Cour de mettre en quelque sorte « les pieds dans le plat ». En effet, la plupart des médicaments sont délivrés accompagnés d’une notice explicative qui fournit la liste des effets indésirables. Or, il y a fort à parier qu’en l’espèce, la lipoatrophie ne figurait pas sur la liste des effets secondaires du médicament utilisé par Madame S.

Comment pouvait-elle dans ce cas établir le lien de cause à effet entre l’injection du médicament et la lipoatrophie puisque le laboratoire pharmaceutique refusait de lui répondre ? Obliger le fabricant de médicaments à répondre est en effet de nature à « aider » la victime à trouver des éléments de preuve « en principe », c’est-à-dire sauf à imaginer que le fabricant, refusant de se tirer une balle dans le pied, se retranche derrière sa notice et se contente de répondre que la lipoatrophie ne fait pas partie des effets secondaires observés au cours de la période de test.

Reste pour les prochaines victimes dans le même cas que Madame S à envisager un recours visant tout à la fois cette jurisprudence et le droit d’accès aux documents ?

 

Joëlle VALLET-PAMART, Avocat à la Cour, diplômée du Master 2 « Droits et contentieux de l’Union européenne », doctorante.

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