Hebdo des arrêts (21-25 nov. 2016)
CJUE, 23 nov. 2016, Bayer CropScience et Stichting De Bijenstichting, C-442/14
CJUE, 23 nov. 2016, Commission / Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe, C-673/13 P
[Accès aux documents des institutions et des autorités nationales en matière d’environnement – Risque d’atteinte aux intérêts industriels et commerciaux – Notion d’ « informations relative/ayant trait à des émissions dans l’environnement » – Documents soumis dans le cadre d’une procédure d’autorisation de produits phytopharmaceutiques et de biocides]
Le règlement 1049/2001 et la directive 2003/4 ont pour objectif de garantir un accès de principe du public, pour le premier, aux documents détenus par les institutions, et, pour le second, aux informations en matière d’environnement détenues par les autorités publiques des États membres. Sont cependant prévus des motifs de refus de divulgation, notamment lorsque celle-ci porterait atteinte à la confidentialité des informations commerciales ou industrielles. Néanmoins, en application de la Convention d’Aahrus, ces motifs de refus de divulgations ne peuvent pas être opposés à la divulgation des « informations ayant trait/relatives à des émissions dans l’environnement » (article 6 §1 du règlement 1367/2006 et article 4 §2 de la directive 2003/4).
Dans ces deux affaires, l’une sur renvoi préjudicielle, l’autre sur pourvoi, il était demandé à la Cour d’interpréter la notion d’« information relative à des émissions dans l’environnement » afin d’identifier les informations concernées dans les dossiers scientifiques qui sont remis aux institutions de l’Union ou aux autorités nationales par les fabricants de produits phytopharmaceutiques et de biocides (pesticides, engrais …) pour l’obtention d’autorisations de mise sur le marché.
La Cour considère que l’interdiction de refuser la divulgation des « informations relatives à des émissions dans l’environnement » ne saurait être interprétée restrictivement car, en tant qu’ « exception à l’exception », elle vise à mettre en œuvre le principe d’un accès le plus large possible aux informations environnementales.
S’agissant de la notion d’« émission dans l’environnement », la Cour a retenu :
- d’une part, qu’il ne saurait y avoir de distinction entre cette notion et celles de « rejet » ou de « déversement »,
- et d’autre part, que cette notion ne saurait être limitée aux émissions provenant des installations industrielles.
Ainsi, elle couvre les rejets dans l’environnement de produits et de substances tels que les produits phytopharmaceutiques ou biocides. Cependant, la Cour précise que cette notion doit être circonscrite aux émissions effectives ou prévisibles du produit dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation.
S’agissant de la notion d’« informations relatives à des émissions dans l’environnement », la Cour l’interprète comme couvrant :
- les informations sur les émissions en tant que telles : indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date, le lieu des émissions dans l’environnement de ces produits ou substances ;
- les données relatives aux incidences, à plus ou moins long terme, de ces émissions sur l’environnement : les informations relatives aux résidus présents dans l’environnement après l’application du produit en cause ainsi que les études portant sur le mesurage de la dérive de la substance lors de cette application, que ces données soient issues d’études réalisées en tout ou partie sur le terrain, d’études en laboratoire ou d’études de translocation.
La Cour semble donc retenir une interprétation assez large des données scientifiques et techniques relatives aux produits phytopharmaceutiques et aux biocides devant être divulguées, ceci contre les intérêts des fabricants de tels produits qui les ont fournies aux autorités publiques européennes et nationales. En effet, une telle divulgation ne revêtant pas un caractère général, ce sont tant les associations de protection de l’environnement que les concurrents qui pourront accéder à ces informations susceptibles revêtir une valeur commerciale et financière pour le fabriquant.
A cet égard, la Cour a néanmoins écarté toute incompatibilité de son interprétation de la notion d’« informations relatives à des émissions dans l’environnement » avec la liberté d’entreprise et le droit de propriété (art. 16 et 17 Charte), ainsi qu’avec l’accord ADPIC en matière de droits de propriété intellectuelle, compte tenu de l’intérêt public tenant à la divulgation la plus large possible des informations environnementales et du caractère proportionnée de cette divulgation. En effet la Cour précise qu’il ne s’aurait y avoir de divulgation de l’ensemble des données contenues dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché, la divulgation devant être limitée aux seules données pertinentes, déterminées une à une, dès lors qu’il est possible de dissocier ces données des autres informations contenues dans une source.
S’agissant du pourvoi examiné dans l’affaire C-673/13 P, la Cour a in fine rejeté l’interprétation trop large de la notion d’« information ayant trait à des émissions dans l’environnement » par le Tribunal qui avait retenu qu’il suffisait qu’il y ait un « lien suffisamment direct » entre les informations et les émissions dans l’environnement.
CJUE, 23 nov. 2016, Commission / France, C-314/15
[Manquement – Traitements des eaux urbaines résiduaires]
La Cour condamne la France pour non-respect de ses obligations en vertu de la directive 91/271 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires : pour 11 agglomérations, la France n’a pas assuré un traitement secondaire ou un traitement équivalent des eaux urbaines résiduaires avant leur rejet.
À relever le certain imbroglio quant à l’étendue et à l’examen des griefs :
- La Commission est libre de retirer certains griefs jusqu’à la fin de la procédure écrite (abandon des griefs visant 3 agglomérations dans le mémoire en réplique sur les 15 visées dans le mémoire initial).
- En revanche pour les griefs maintenus, le constat par la Commission lors de l’audience de la mise en conformité de l’EM ne saurait empêcher que le manquement soit constaté par la Cour, celui-ci devant être apprécier au terme du délai fixé dans l’avis motivé de la Commission (depuis cette date 9 agglomérations visées par les griefs s’était mise en conformité)
- Cependant, même si l’EM visé ne conteste pas devant la Cour les griefs qui lui sont reprochés, celle-ci vérifie elle-même si le manquement existe ou pas (rejet du recours en manquement quant à 1 agglomération bien que la France ait admis son manquement)
CJUE, 24 nov. 2016, Commission / Espagne, C-461/14
[Manquement – Environnement – Conservation des habitats naturels]
La Cour condamne l’Espagne pour ne pas avoir adopté les mesures appropriées pour éviter, dans la zone de protection spéciale concernée par un projet de ligne ferroviaire à proximité de Séville, la détérioration des habitats naturels et les perturbations touchant les espèces protégées (directive 2009/147 « oiseau » et directive 92/43 « habitat »)
À noter que la Cour a retenu l’irrecevabilité de la partie du recours en manquement qui concernait une zone qui n’entrait pas l’objet du litige tels que défini au cours de la procédure précontentieuse.
CJUE, 24 nov. 2016, SECIL, C-464/14
[Libre circulation des capitaux – Articles 63 à 65 TFUE – Accords d’association CE-Tunisie et CE-Liban – Impôt sur le revenu des personnes morales – Dividendes perçus d’une société établie dans un État tiers – Refus de bénéficie d’une exonération – Efficacité des contrôles fiscaux]
Dans cette décision préjudicielle, la Cour répond à une série de 14 questions posées par une juridiction fiscale portugaise concernant les articles 63 à 65 TFUE relatifs à la libre circulation des capitaux et les accords euro-méditerranéens avec la Tunisie et le Liban. Étaient en cause la non application de dispositifs nationaux d’exonération fiscale aux fins d’élimination de la double imposition économique s’agissant de dividendes versés à une société portugaise par des sociétés respectivement tunisienne et libanaise dont elle est actionnaire.
La Cour interprète successivement puis conjointement les articles 63 et 65 TFUE ainsi que les dispositions des accords-euro-méditerranéens interdisant les restrictions à la libre circulation des capitaux, auxquelles est reconnu un effet direct et, par là même, l’effet de priver les EM de la faculté d’invoquer l’exception prévue par l’article 64 §1 TFUE s’agissant des restrictions déjà existantes au 31 décembre 1993. Elle en déduit que le refus d’accorder à une société résidente d’un EM une déduction de la base d’imposition des dividendes perçus, prévue par la réglementation nationale, lorsqu’ils sont versés par une société distributrice résidente d’un État tiers constitue une restriction aux mouvements de capitaux entre les EM et les États tiers interdite. Elle ne se saurait être justifiée par les raisons impérieuse d’intérêt général tirées de la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux que s’il s’avère impossible pour les autorités de l’EM de résidence de la société bénéficiaire d’obtenir les renseignements de l’État de résidence de la société distributrice permettant de vérifier que la condition relative à l’assujettissement à l’impôt de la société distributrice de ces dividendes est remplie.
CJUE, 24 nov. 2013, Ackermann Saatzucht e.a. / Parlement et Conseil, C-408/15 P
[Irrecevabilité d’un recours en annulation contre un acte législatif – Notion d’« affectation individuelle]
Des entreprises opérant dans le secteur de la sélection végétale avaient introduit des recours en annulation contre le règlement 511/2014 relatif au respect par les utilisateurs dans l’Union du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Par les ordonnances attaquées, le Tribunal a rejeté ces recours comme irrecevables, à défaut pour les requérants d’être individuellement concernés et pour le règlement litigieux d’être un acte réglementaire.
La Cour rejette les pourvois, maintenant son opposition à une interprétation extensive de la notion d’« affectation individuelle » prévue l’article 63, quatrième alinéa, TFUE, la maintenant ainsi dans le cadre de l’analogie fonctionnaire avec la notion de « destinataire de l’acte » : des personnes faisant partie d’un groupe ne peuvent être individuellement concernées par un acte législatif que si ces personnes étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris, de sorte qu’un cercle restreint de ces membres individuellement concerné par un acte ne peut pas être élargi après son entrée en vigueur, tel que c’est le cas pour un acte susceptible de s’appliquer à un nombre indéterminé de destinataires. La Cour balaie par ailleurs les invocations du droit à une protection juridictionnelle effective, rappelant que des mesures d’exécutions adoptées par les autorités nationales permettront en l’espèce, lors de leur contestation devant les juridictions nationales, de soulever une exception d’invalidité du règlement.
CJUE, 24 nov. 2016, Parris, C-454/15
[Egalite de traitement en matière d’emploi et de travail – Prestation de survie – Condition tenant à l’âge de l’affilié lors de la conclusion de l’union civile – Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’âge]
Dans le litige au principal, était en cause la réglementation d’un régime de prévoyance professionnel irlandais limitant du droit du partenaire enregistré survivant à un affilié de bénéficier de la pension de survie prévue par ce régime à la condition que le partenariat enregistré ait été conclu avant que l’affilié n’ait atteint l’âge de 60 ans. Le requérant invoquait une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’âge dans la mesure où le droit irlandais n’avait permis la conclusion d’un partenariat enregistré entre personnes de même sexe qu’à une date où l’affilié avait déjà atteint 60 ans.
Interprétant la directive 2000/78 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, la Cour considère qu’il n’y pas de discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle car la limite d’âge s’applique tant aux partenariats enregistrés qu’aux mariages. La Cour juge ensuite qu’il n’y a pas de discrimination indirecte car le droit de l’Union n’oblige pas les EM à prévoir le mariage ou une forme d’union civile pour les couples de même sexe ou, le cas échéant, à prévoir des mesures transitoires pour les couples de même sexe dont l’affilié aurait déjà atteint l’âge de 60 ans à la date à laquelle il a pu conclure une telle union en vertu du droit national.
La Cour juge ensuite que si réglementation nationale institue une différence de traitement directement fondée sur l’âge, elle relève cependant de l’article 6 §2 de la directive qui permet aux régimes de pension de fixer un âge d’admissibilité à une prestation vieillesse.
Enfin la Cour écarte l’idée qu’une disposition nationale qui ne constitue ni une discrimination sur l’orientation sexuelle, ni une discrimination fondée sur l’âge puisse constituer une discrimination « autonome » fondée sur la combinaison de ces deux facteurs.
CJUE, 24 nov. 2016, Webb-Sämann, C-24 novembre 2016
[Protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur – Protection de droits à des prestations de vieillesse – droit de distraction de la masse de l’insolvabilité]
Un salarié d’une entreprise faisant l’objet d’une procédure de faillite demandait à bénéficier d’un droit de distraction de la masse de l’insolvabilité afin de réclamer le versement des retenues sur salaires converties en cotisation de retraite que son employeur n’avait pas versé sur son compte de retraite.
La Cour considère que l’article 8 de la directive 2008/94 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, qui prévoit seulement que les EM « s’assurent que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés » en ce qui concerne leurs droits à des prestations de vieillesse, exige seulement que les pertes subies par les ne soient pas manifestement disproportionnées, ce qui ne saurait être le cas d’une réduction des droits à pension de retraite de l’ordre de 5 à 7 euros par mois comme en l’espèce. Dès lors, cette disposition ne saurait imposer qu’un salarié dans une telle situation bénéficie d’un droit de distraction de la masse de l’insolvabilité.
*Il s’agit d’une sélection des arrêts rendus par la Cour de justice.